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De quoi fouetter un chat (portraits littéraires)

1 avril 2011

Velibor Colic, portrait d'aujourd'hui

COLICvelibor0510PM03Ce portrait de Velibor Colic est un portrait d’aujourd’hui. Installé en France depuis qu’il a quitté, en 1992, sa Bosnie natale, dévastée par la guerre, ce colosse qui considère son imposante stature comme une "contrebalance contre le monde" vit en Bretagne et s’investit auprès des jeunes dans des ateliers d’écriture. Son passé en Bosnie, son expérience de soldat, de prisonnier et de réfugié, c’est par l’écriture qu’il l’évoque et l’exorcise. En serbo-croate, puis directement en français depuis Archanges en 2008, l’auteur écrit sa propre histoire comme il passerait ses souvenirs au tamis pour en extraire les très laids cailloux comme les étincelantes petites pépites qui s’y terrent. Avec Jésus et Tito, paru en 2010 chez Gaïa, Velibor Colic se penche sur sa jeunesse avec tendresse et drôlerie, et nous offre une vision kaléidoscopique et solaire de sa Yougoslavie d’avant. D’avant la guerre. D’avant l’exil. D’avant l’âge adulte. 

"Plus rien que des cendres"* ?

"Ma Mère dit que nous sommes croates, mon Père que nous sommes Yougoslaves. Moi je n’en sais rien"*. Comme avec négligence, le jeune Velibor de Jésus et Tito entame ainsi son album de souvenirs. Dans le giron du grand corps de la Yougoslavie communiste de Tito, bercé des seules paroles (d’évangiles) des adultes qui l’entourent, il se situe avec incertitude. En fait, Velibor est croate de Bosnie, et son livre-souvenir évoque sa vie, avant que cela ne devienne un problème. Car, il a eu beau prier "le dieu Vishnou, la Vierge Marie, le camarade Brejnev et Hemingway pour qu’il n’y ait pas la guerre"*. Il y a eu la guerre et, soudainement, être croate est devenu un facteur de risque. Velibor Colic ne le sait aussi que trop bien, lui qui, né dans un petit village de Bosnie-Herzégovine en 1964, est enrôlé dans l’armée croato-bosniaque qu’il finit par déserter. Il évoque les évènements qui ont suivi et qui l’ont conduit en France sans pathos (il l’a en horreur), de quelques mots froids et tranchants comme le fil d’une lame : "J’étais un homme blessé, traqué, ancien soldat et prisonnier. Moins que rien. Vide". C’est l’exil. "Rien de romantique, c’est très technique l’exil, un apprentissage" : la langue, la carte de séjour, la CAF, l’argent… Velibor Colic doit réapprendre à vivre. Il quitte Strasbourg pour la Bretagne, en évitant soigneusement Paris : "Il faut habiter quelque part, c’est tout".

Des tranchées d’où il a eu un aperçu de l’enfer, le jeune homme a rapporté des blessures et  – sans doute – quelques cauchemars, mais aussi des notes manuscrites et un besoin viscéral de témoigner. Les Bosniaques est le premier livre qu’il extrait de ses notes et offre une vision brutale et urgente du conflit en ex-Yougoslavie. D’autres écrits de guerre suivront, comme autant d’éclats d’obus et de fragments de vies brisées : Chroniques des oubliés et Archanges, écrit directement en français.

A le lire et à l’entendre parler de lui, on ne peut ignorer que souffrance et pessimisme sont devenus les fidèles compagnons de route de celui qui, adolescent, se rêvait en poète maudit. Mais ils ne sont pas parvenus à éteindre l’espoir et l’intérêt qu’il porte aux êtres humains dans leur individualité. "La vie est un miracle"* dit le jeune Velibor de Jésus et Tito. C’est aussi la conviction d’un Velibor devenu écrivain et qui a décidé de laisser leur chance aux hommes car : "on écrit sur des hommes ou on n’écrit pas". Des paumés de Chez Albert aux génies de La vie fantasmagoriquement brève et étrange d’Amedeo Modigliani ou de Perdido (la biographie romancée du jazzman Ben Webster), l’auteur bosniaque sait dépeindre des figures humaines, vibrantes et vivantes. Et c’est alors comme une évidence, qu’il a porté les yeux sur lui.

"Chaque roman est vrai"

Velibor Colic lit L’art du roman de Milan Kundera en ce moment. C’est donc tout naturellement qu’il le cite lorsqu’on luijesus_et_tito demande si son Jésus et Tito (roman inventaire) est bien une autobiographie, puis ajoute : "Ce n’est qu’une fiction et j’ai voulu l’imposer telle une histoire vraie, parce que dans l’essentiel, chaque roman est vrai". Pour lui, la matière du roman est là : dans la vie et dans sa propre vie.

Quand s’ouvre Jésus et Tito, on est en 1970 et Tito règne sans partage sur la Yougoslavie communiste. Velibor a 6 ans et vit, avec sa famille bien-aimée, dans une de ces "petites villes paumées entre deux montagnes"* d’où on ne fait qu’apercevoir le train bleu du Maréchal qui file à toute vitesse. Ses copains s’appellent Fido le Mouton, Vlado le Sauvage ou Pips. A travers les yeux du jeune Velibor, on découvre un paysage magnifique, l’Eden de l’enfance : "On a l’impression que le temps restera à jamais comme ça – de la poussière et des pastèques, de gros insectes ivres de soleil et quelques taches jaunes sur le dos de notre montagne"*. On apprend à connaître, avant qu’elle n’éclate, cette Yougoslavie communiste où popes, prêtres et imams vivent, côte à côte, en bonne intelligence et où les enfants sont modelés par la propagande communiste et le culte de la personnalité du Maréchal (opération "une brique pour le Vietnam", concours de poésie en l’honneur de Tito, pèlerinage annuel vers son village natal…). Le roman se clôt en 1985, sur la fin du service militaire du jeune Vélibor et, là encore, l’Histoire rattrape la mémoire individuelle car son expérience militaire – décrite avec un humour décapant et acide – laisse présager d’un sombre et fratricide futur : "Je suis entré dans notre fameuse armée fédérale, comme tout le monde. J’étais Yougoslave. Ensuite, notre capitaine a découvert que j’étais en fait croate. Ce qui, en langage codé d’officier, veut dire traître, tout simplement"*.

Mais ce réalisme ne peut occulter combien Jésus et Tito est un formidable roman initiatique. Inspiré par le cinéma italien des années 50, Velibor Colic nous propose une écriture très visuelle et sensible, "en petites touches, en mosaïque et dans le désordre chronologique. En technicolor et en 3D. Avec des goûts, des odeurs et des vrais sentiments […]". Ces vrais sentiments sont universels. L’auteur bosniaque dépeint l’univers sauvage et cruel de l’enfance, ses bonheurs simples et ses raccourcis sécurisants : "Le monde des idées est très compliqué […]. Quand on mange bien, c’est du catholicisme. Et si on n’a rien à manger, mais qu’on chante et danse, c’est du communisme"*. Il évoque les douleurs et les rencontres, les amours et les pertes qui font grandir, et finalement, ce moment très particulier de la jeunesse où tout un chacun brûle les idoles qu’il a adorées : "Et j’accomplis mon devoir patriotique tel un robot. Plus rien à faire, je le vois bien maintenant, les portraits du maréchal Tito sont kitsch et laids. Toute cette iconographie […] c’est du grand n’importe quoi"*.

"Et moi, je vis bien comme étranger"

1_1Il faut beaucoup de distanciation et de croyance dans le pouvoir de la littérature pour parvenir à faire de sa mémoire personnelle, de ces "cartes postales envoyées à lui-même", la matière d’une fiction si tendre et drôle que, le livre refermé, on retient surtout la joie et l’éclat qui s’en dégagent. Lorsqu’on fait remarquer à Velibor Colic que son écriture s’est apaisée, il botte en touche : "Entre sage et singe il y a juste quelques lettres de différence", mais reconnaît qu’il a réalisé "un peu plus de travail sur [lui-même] pour retrouver l’illusion que l’écriture peut être quelque chose d’important".

Ce travail sur lui-même est avant tout passé par un travail sur la langue. Ce grand lecteur, qui, à l’instar du jeune Velibor de Jésus et Tito, "s’abreuve de littérature classique"*, ne connaît que trois mots de français à son arrivée en France : "Jean, Paul et Sartre". Alors, Velibor Colic apprend cette nouvelle langue, grâce à la vie quotidienne et grâce aux déclics qui se font entendre dans sa tête. Il ne retournerait pas dans son pays. Il vivrait et écrirait probablement en France... Et puis, un beau matin, l’étape suivante est franchie. Après avoir hésité de longues années, après avoir perdu sa fidèle traductrice (Mireille Robin), l’auteur commence à écrire en français et s’y sent à l’aise, maître de son verbe et seul responsable de son livre. Aujourd’hui, il lui semble que "le français est la langue maternelle pour la littérature" (à défaut d’être la sienne). Pince sans rire, l’homme admet même que "c’est bon pour la santé"... Mais, il ne s’en tient pas là et, après avoir appris, Velibor Colic choisit de faire apprendre. Depuis quelque temps maintenant, il va à la rencontre des jeunes dans le cadre d’ateliers d’écriture scolaires. C’est un public avec lequel il se sent en confiance et avec lequel il peut parler vrai et sans tricheries. Enfin, le dernier déclic a lieu. Il sonne comme une de ces anecdotes savoureuses qui pourrait figurer dans son roman inventaire ; à Sarajevo, un de ses amis lui fait remarquer qu’il parle sa langue maternelle avec un accent à la française ! "Finalement, être étranger c’est avoir un accent. Partout, y compris dans son pays natal. Et ça me convient", conclut-il. A défaut d’avoir réellement investit un lieu de vie (en fait, il confie facilement qu’il n’aime pas la Bretagne), l’écrivain d’origine bosniaque sent que désormais il "habite" une langue.

Ainsi, depuis l’époque de Jésus et Tito, le petit Velibor a bien grandi et a choisi de ne pas écouter son père lorsqu’il lui disait que "Le village natal […] il ne faut jamais en partir. Mais si on en part, il ne faut jamais y revenir"*. Bien sûr, Velibor Colic a quitté la Bosnie, son pays assassiné, mais il s’est reconstruit ailleurs et a accepté qu’on ne peut pas détester complètement sa terre natale. Alors, il y retourne. En simple touriste, des fois. En paroles, souvent, car il rêve, compte et jure toujours dans sa langue maternelle. Et en livres, toujours un peu.

Agnès Fleury


* Extraits de Jésus et Tito (roman inventaire), Gaïa, 2010

Crédits photographiques : Philippe Matsas (en haut à gauche), Gaïa éditions (au milieu à droite) et Pascal Hée (en bas à gauche)

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4 mars 2011

De quoi fouetter un chat noir

62293889_pNouveau! "De quoi fouetter un chat" a un espace polars : "De quoi fouetter un chat noir".

 

http://unchatnoir.canalblog.com/

 

Papier en ligne sur Le paradis (ou presque) : une mésaventure de Hank Thompson, Charlie Huston (Seuil, 2011) - Lu dans le cadre du jury Seuil policiers et Babelio.

 

Douilles, huile de vidange et armoire à pharmacie...

22 février 2011

Liliana Lazar, d’ombres et de lumière

liliana_lazar_2Victor Luca, voilà un nom qui prédestinerait son propriétaire à une vie auréolée de gloire et de lumière. Paradoxalement, il est celui d’un monstre, du noir héros de Terre des affranchis, un premier roman écrit directement en français par l’écrivain d’origine roumaine, Liliana Lazar. Comme un coup d’éclat, le livre a, depuis sa parution chez Gaïa en septembre 2009, récolté une belle moisson de prix et récompenses (dont le prestigieux Prix des cinq continents de la Francophonie) et de critiques unanimement élogieuses. Sans repères pour décrire un premier écrit, toute une ribambelle d’auteurs a déjà été convoquée pour soutenir la comparaison : Bram Stoker et Barbey d’Aurevilly pour la noirceur, Giono, Harrison et Sand pour la relation homme/nature et puis les frères Grimm aussi, qui ont exhumé pour les coucher par écrit les contes populaires de nos contrées. Au milieu de cette foule prestigieuse, on part à la recherche de celle qui a écrit Terre des affranchis, un conte fantastique, sombre et minéral dont l’action se déroule dans une Roumanie à un tournant de son histoire, avant et après la chute de Ceausescu. Et on trouve sans peine, car Liliana Lazar est une interlocutrice sincère, une auteure discrète et accessible… et pourtant si mystérieuse…

De Slobodzia à Gap : quelques éléments pour un conte moderne

Une forêt, des livres, des voyages initiatiques et un dénouement heureux ; quand Liliana Lazar se raconte, les frontières s’estompent entre une vie et la matière dont sont faits les contes.

C’est l’histoire d’une petite fille née en 1972 à Slobozia, un village de Moldavie. Elle est la fille du garde forestier qui vit à la lisière de la forêt. Cette nature à moitié domestiquée, aux abords des activités humaines mais domaine privilégié de l’animal et du végétal, est le terrain de jeu de la jeune Liliana Lazar. Elle se souvient : « J’ai grandi dans un environnement végétal, où la nature était omniprésente, protectrice et étouffante à la foi ; (…) Longtemps ce fut pour moi un refuge, l’endroit où j’allais à la rencontre de moi-même ». Des mots qui sonnent comme un écho aux phrases évoquant la relation privilégiée qu’entretient Victor avec la forêt de Terre des affranchis et son terrible lac : « Il connaissait chaque arbre, chaque pierre qui en bordait le rivage. […] Par endroits, le feuillage des saules se rabattait si loin au-dessus de l’eau qu’on eût dit qu’un tunnel de végétation enveloppait la rive. Victor aimait s’y cacher à l’ombre des branchages »*. Mais, alors que celui-ci va se laisser attirer par le côté obscur des forces mystérieuses de la nature, une toute autre aventure attend la jeune fille au détour du bois : celle de la lecture et de la découverte d’une autre langue que la langue maternelle.

En effet, la nécessité va conduire celle pour qui le plus grand plaisir était de « partir seule dans les bois, s’asseoir sous un arbre pour y lire un roman » vers les grands textes de la littérature française que propose la bibliothèque locale. Le régime autoritaire de Ceausescu est alors en place, fermement soutenu par sa fidèle compagne, la censure : « La plupart des textes étudiés à l’école se résumaient à de la littérature de propagande ou à des œuvres tronquées ». Qu’à cela ne tienne, armée d’un dictionnaire et de son insatiable curiosité, Liliana Lazar déchiffre Jules Verne, Zola, Balzac, Hugo et apprend le français. Quelques années plus tard, une bourse d’étude lui permet d’étudier la littérature française à l’université de Iasi. Comme un dénouement heureux et presque attendu, le français, qui avait été sa langue d’évasion et de liberté, devient également l’innocent artisan d’une « heureuse rencontre qui a changé le cours de [sa] vie ». Suivant cette « heureuse rencontre » –  qui est aussi son mari – Liliana Lazar s’installe en France en 1996 et évoque une découverte qui s’est faite tout en douceur : « J’arrivais avec une culture et je devais composer avec une autre ; j’étais enthousiaste même si la nostalgie de mon pays m’a longtemps habitée ».

Et c’est à Gap, au pied des Alpes, dans cette langue qui est désormais la sienne, un français empreint de classicisme, que Liliana Lazar devient romancière et prend le temps de laisser mûrir un livre violent et doucereux,  pétri de traditions roumaines et de thèmes  universels.

Meurtres et rédemption

Comme un thriller contemporain, Terre des affranchis débute par un prologue construit autour d’un suspens déceptif, d’unTerre_des_affranchis mort et d’une légende effrayante. La suite sera beaucoup plus insidieuse. Il y sera question de meurtres, bien sûr, d’âmes errantes également, mais surtout de rédemption, de libertés et de petits arrangements avec la lâcheté ordinaire.

La première partie s’ouvre sur un décor familier à l’auteur : l’épaisse forêt de Slobozia et la Roumanie de Ceausescu. Victor Luca y est « bœuf muet », un jeune bûcheron fort comme un turc et malmené par l’existence. Souffre-douleur d’un père alcoolique et tenu à l’écart de la communauté de Slobozia, il a passé les limites de sa folie il y a longtemps déjà lorsque, encore enfant, il a tué son père et dissimulé son forfait. Depuis, les années ont passé mais les pulsions meurtrières sont restées. Il suffit qu’une jeune femme attisant ses appétits se détourne de lui et ses mains se referment sur son cou… Effrayé par ses actes et aidé par sa mère et sa sœur, figures de dévotion totale, Victor Luca se cloître dans le grenier de leur masure à la lisière de la forêt et disparaît aux yeux de la justice et de la communauté villageoise. Un pope résistant au régime communiste lui offre la possibilité de se racheter. Victor recopiera à la main, tel un moine copiste, des ouvrages religieux interdits par la censure. Mais les racines du mal sont profondes et les bois offrent tant de tentations…

Pas de rédemption, donc. Pas de morale ? Ce sont des remarques que Liliana Lazar a souvent entendu de la part de lecteurs mi-figue mi-raisin. Elle y répond avec simplicité : « J’essaie de m’effacer pour laisser vivre mes personnages tels qu’ils sont, avec leurs défauts et leurs qualités. Je raconte, c’est tout ». Et ce qu’elle raconte c’est que, malgré l’omniprésence de la foi orthodoxe et l’empreinte de son Eglise sur la vie quotidienne des hommes et des femmes de Slobozia, le salut peut emprunter des chemins détournés et souvent obscurs. Ainsi d’Eugenia, la sœur de Victor, qui s’allonge les bras en croix, ferme les yeux et se convainc de mourir. Ainsi de Daniel l’ermite et meurtrier repenti, qui se constitue victime expiatoire. Mais à Victor, la rédemption ne sera pas accordée… bien qu’on la lui offre par deux fois. Sibylline, l’auteur ouvre cependant une voie de compréhension à cet échec : « La connaissance est le chemin qui mène à la rédemption ; personne ne peut changer le cours de son existence en se contentant de ses acquis ». Et la première des lâchetés du héro de Terre des affranchis est sans doute de s’enfermer, de recopier et de répéter à l’infini les mêmes erreurs.

Terre de libertés, terre de cultures

IMGP5189Mais, au-delà de la terrible destinée des personnages qui l’habitent, ce livre est avant tout le livre de Slobozia, littéralement (en roumain) la terre des affranchis. Car Liliana Lazar a toujours été convaincue qu’elle ne pouvait pas «  poser [ses personnages] à un endroit où il n’y a rien ». L’endroit dont parle l’auteur est d’ailleurs bien plus qu’un simple cadre : tantôt personnage à part entière – lorsque le lac, la terrible Fosse aux lions aux eaux phosphorescentes et meurtrières, se fait complice de Victor dans ses macabres errements – , tantôt symbole du passage entre la réalité et le fantastique. Slobozia offre, en effet, une topographie propre à l’entre-deux et au clair-obscur : « Pour les villageois, Slobozia symbolisait le monde civilisé, c’est-à-dire l’espace ordonné et christianisé. La forêt en revanche, était le lieu du sauvage, de l’animalité et des forces païennes »*. Et, la véritable terre des affranchis (des lois du régime politique et de l’Eglise instrumentalisée), c’est la forêt. C’est là que se terrent les sorciers et les criminels, là que courent les amants illégitimes pour assouvir leurs désirs, là que peut s’épanouir la sainteté aussi bien que le vice. Les forces de la nature sont sans conteste terribles, mais elles sont neutres. Sans calculs et sans morale, seules les lois intangibles de l’instinct les régissent. Le village est, quant à lui, le lieu où fleurissent toutes les petites et grandes trahisons si courantes durant les révolutions et les changements de régimes politiques. Et finalement, sans surprise, c’est du village que viendra la sanctification d’un criminel et le lynchage d’un innocent, au cri universel de : « Un étranger ! Voilà le coupable ! »*.

Tourments, tortures et vicissitudes décrits paisiblement et sans jugement, tout comme la nature accueille saints et criminels sans sourciller ; c’est sans doute ça le fantastique ? La liberté aussi. Celle d’un écrivain qui depuis les Alpes françaises chantent les beautés de la nature moldave et qui, grâce à la langue française, ce formidable « outil qui l’a libérée », remanie et transcrit les légendes populaires qui ont bercé son enfance roumaine, comme « un moyen de laisser une trace écrite d’un monde qui va finir par disparaître, en même temps que l’imaginaire roumain changera ». Désormais, grâce à la douce Liliana Lazar, de Slobozia à Gap, tout un chacun devrait savoir tuer un moroï**.

Agnès Fleury

* Extraits Terre des affranchis (Gaïa, 2009)

** créature légendaire du folklore de Roumanie, assimilée aux vampires. Pour savoir comment les tuer, lire les pp. 137-140…

Crédits photographiques : Liliana Lazar et Gaïa éditions

http://www.gaia-editions.com/index.php?option=com_content&view=article&id=347:lazar-liliana&catid=10:domaine-francophone&Itemid=5

http://www.letelegramme.com/ig/dossiers/prix_lecteurs_2010/liliana-lazar-terre-des-affranchis-21-03-2010-808318.php

http://www.swissinfo.ch/fre/Dossiers/LArchipel_francophone_-_Montreux_2010/Le_francais_selon.../Liliana_Lazar:_Le_francais_m_a_appris_a_vivre_et_a_etre.html?cid=28552402

24 décembre 2010

Chochana Boukhobza, Alma Mater

Chochana3"Le souffle brûlant du charav voile la ville de nuées grises. Le trottoir tremble. L’air aussi. Trépidation des moteurs, chaleur, travaux. "*. Jérusalem. Par la grâce de la voix de Chochana Boukhobza, la conteuse du Troisième jour, on est à Jérusalem. Et pourtant non. On est à Paris, un soir de décembre neigeux. Les yeux dans le regard profond de l’écrivain, c’est une autre histoire qu'on se laisse conter. Celle de cette femme née en 1959 à Sfax en Tunisie et venue s’installer en France, après une fiévreuse jeunesse israélienne. Un écrivain qui porte en elle trois langues, trois cultures, plusieurs générations de souvenirs et des milliers d’histoires. Neuf romans déjà, qu’elle parvient à toutes les faire s’épouser et s’entremêler. Car, à l’image de ce Troisième jour construit comme un Cantiques des cantiques moderne, il y a beaucoup d’amour(s) dans la langue, l’œuvre et la présence de Chochana Boukhobza.

Nomadisme et territoires

Chochana Boukhobza a débuté sa vie en nomade. De la Tunisie, quittée en 1963, elle ne conserve aucune image. La première odeur dont le souvenir lui chatouille encore les narines, c’est celle des marrons chauds qui flotte dans l’air, lors de son arrivée à Paris ; elle a 4 ans et ses parents confient son éducation à "des sœurs en cornette" et à une cousine, fausse médium mais vraie psychologue. Puis, à 17 ans, la jeune fille rejoint Israël et le Lycée français de Jérusalem. Débutent alors des années de sauvage liberté, de celles qui marquent et qui forgent les amitiés qu’on n’oublie jamais. Avec ses amis, ils font le mur, partent arpenter le désert en stop. Le temps a dû s’arrêter quelquefois. Aujourd’hui encore, quand elle ne va pas bien, Chochana Boukhobza "prend un billet et part se régénérer là-bas", renouer un dialogue quasi ininterrompu avec ceux qui y sont restés. Cette terre d’Israël, c’est son terreau, sa terre nourricière. Et pourtant, elle l’a quittée.

Depuis ses 21 ans, l’écrivain vit en France, y a solidement implanté sa grande et turbulente famille et s’y trouve "parfaitement bien". Paradoxe ? Pas entièrement. Car, si elle ne ressent aucune nostalgie, Chochana Boukhobva assume son statut d’exilée : "La différence entre l’étranger et l’exilé, c’est que l’exilé ne peut pas revenir. Etre exilé, c’est être quelque chose, puis ne l’être plus". Revenir en Tunisie est alors impossible. Ce serait comme "toucher à un bocal imaginaire" dans lequel elle puise pour nourrir son inspiration orientale. Revenir en Israël l’est tout autant, car aux émotions fortes de la jeunesse a succédé la colère de la maturité. Une colère largement alimentée par les guerres qui lui ont ôté tant de vies chères. "Personne n’en sort indemne ; les guerres plus que l’exil remodèle les sociétés", souffle-t-elle avec gravité.

Si le retour de l’écrivain en Terre Sainte n’a pas lieu, il se fera pourtant par le biais de la fiction. Depuis son premier roman, Un été à Jérusalem (Balland, 1986) pour lequel elle obtient le prix Méditerranée, en passant par Le Cri (Balland, 1987) finaliste au prix Fémina, elle creuse et tamise la terre d’Israël. C’est avec un doux sourire qu’elle le reconnaît : "Comme certains possèdent des arpents de terre, je possède un arpent de terre de pensée. C’est Israël". C’est donc presque sans surprise que Le Troisième jour (Denoël, 2010) s’ouvre à Jérusalem un matin de khamsin, ce vent de sable brûlant venu du désert pour cinquante jours de printemps, et porteur de violents orages. Une atmosphère propice aux déchaînements des passions…

Territoires et écriture

Nous sommes en mai 1990, en pleine Intifada. Elisheva, musicienne talentueuse et de renom international, etTroisi_me Rachel, son élève violoncelliste, arrivent de New York pour jouer Dvorak au Binyané Haouma de Jérusalem. Dans trois jours, ce concert devrait sonner comme la consécration pour l’une et une passation de pouvoir pour la plus jeune. Mais, ce temps de battement(s) ne sera pas consacré aux répétitions. A peine au sol, les deux femmes partent sillonner Jérusalem de part en part. Et ce faisant, les voilà arpentant leur territoire obsessionnel personnel, sans qu’aucune des deux ne prenne réellement conscience des enjeux que représentent ces trois jours pour l’autre. Elisheva, l’ashkénaze survivante des camps de la mort, est venue chercher vengeance. Arrivée au bout du chemin, elle est sur le point d'attirer à elle, puis, aidée de quelques-uns de ses amis, de tuer de ses propres mains "le bourreau de Majdanek", celui qui a assassiné sa famille et laissé sur son corps et sur son âme des cicatrices indélébiles. Rachel, la belle séfarade, tente de renouer de fragiles liens avec la famille et l’amour qu’elle a sacrifiés pour assouvir la seule passion qui la dévore : la musique.

Deux femmes rayonnantes, fortes, qui, se croisant dans une Jérusalem grouillante à la veille de l’Ascension, et malgré tout l’amour qu’elles se portent mutuellement, ne parviennent pourtant pas à pénétrer l’aire de l’autre. On touche là aux thèmes propres et à l’art même de l’écrivain. En scientifique de formation qu’elle est, Chochana Boukhobza aime en effet concevoir ses personnages en termes mathématiques. Elle leur cherche "des fonctions et des aires, des territoires qui leur sont propres et, donc des limites qui vont avec". Elle "y pense sans cesse, tourne autour, cherche à les voir sous tous les angles" et se souvient en avoir porté pendant des centaines de pages, pour finalement les "abandonner car ils n’étaient pas viables"… Ecouter Chochana Boukhobza parler écriture, c’est être attentif à une géométrie, deviner des lignes dans l’espace : "Je scrute l’obscurité, tâtonne, je travaille comme une tapissière cherchant un motif qui pourrait apparaître parmi les lignes qu’elle tisse".

Cette claire conscience de ce qui fait la viabilité de ses personnages, des terres sur lesquelles elle est, chaque fois, amenée à retourner, Chochana Boukhobza ne l’a pas toujours eue. Grande lectrice, elle a, en effet, longtemps été influencée par "l’écriture blanche". Lisant Simenon (un des seuls écrivains français qui sache raconter des histoires, d’après elle) ou Robbe-Grillet, il lui est arrivé d’avoir honte de son "côté séfarade". Elle a craint l’excès, le mélodrame, jusques à chercher à maîtriser à toutes forces l’écriture, réduire les phrases, assécher l’intrigue… Pour se rendre compte, livres après livres, que ce faisant, elle "esquinterait sa matière". En cessant ainsi de s’interdire l’accès à sa propre "terre obsessionnelle", l’écrivain a libéré sa parole.

Silences, paroles et musique

Chochana1Il faut dire que la parole, les mots, les silences ont une importance capitale chez Chochana Boukhobza, peut-être parce qu’ils sont bien plus qu’une modulation de l’air, qu’ils traduisent l’absence et la perte, la transmission et le partage.

La parole, c’est avant tout les langues ; le français, l’arabe, l’hébreu, trois langues avec lesquelles Chochana Boukhobza pense et s’exprime. Même si sa langue d’écriture ne peut qu’être le français, cela fait bien longtemps qu’elle "marche enlacée par ces trois langues", transmettant ce polyglottisme à ses personnages et émaillant ses romans de phrases tantôt en arabe, tantôt en hébreu. Sans provoquer aucun soubresaut dans la lecture, elles se lient naturellement les unes aux autres, reflétant ainsi la Jérusalem du quotidien que l’auteur connaît, cette ville "pas plus grande que la Place de l’Etoile [où] les quartiers se côtoient et les hommes vivent les uns contre les autres". Le troisième jour ouvre une fenêtre sur cet Israël où arabes et juifs sont contraints de composer, d’apprendre la langue et les signes les uns des autres pour continuer à vivre et à commercer ensemble dans un lieu si exigu. Et c'est la voix de Rachel, tout à coup saisie de cet éclair de compréhension, qui sonne encore à nos oreilles  : "J’ai compris que mon père était fêlé et que sa folie était très particulière, qu’elle était le résultat de sa naissance en terre d’islam. Qu’il soit un sioniste convaincu ne changeait rien à son problème. Il portait en lui un terrain secret mais tenace, un terrain où juifs et arabes pouvaient s’entendre, faire des affaires, continuer à se parler"*.

Mais cette parole n’est pas donnée. Elle vient parfois à manquer comme une preuve que tout terrain d’entente est meuble, mais aussi comme preuve de la fragilité des êtres. Dans ce roman bruissant et polyphonique où les voix des personnages s’entremêlent et se font entendre les unes après les autres, Chochana Boukhobza brosse des portraits de silence. Il y a ceux qui perdent les mots, tel ce père tout puissant qui, "en perdant la mémoire perd son autorité". Ceux qui ne les ont jamais beaucoup aimés, comme ce frère s’exprimant à l’économie. Et puis, Elisheva. Profondément enfoncée dans le silence de ceux qui préfèrent se taire de peur qu’on ne les croie pas : "Le silence des survivants".

C’est sans doute la qualité de ce silence qui permet à l’auteur de faire de la musique la colonne vertébrale du Troisième jour. Ce neuvième livre, elle l’a voulu comme "un roman choral construit en concerto où la voix de la soliste, Rachel, est reprise par un orchestre, l’ensemble des voix de ceux qui l’entourent". Et de fait, plutôt discrète tout au long des premières pages, la musique se fait entendre crescendo, au rythme des pérégrinations des personnages dans Jérusalem et prend, peu à peu, le relai de la parole jusqu’à se faire assourdissante, le troisième jour, le jour où tout s’accélère et où tout se dénoue. Le jour du concert.

On ferme le livre, on quitte Chochana Boukhobza devant une rame de métro. Et la musique s’arrête, les voix se taisent. Elle repart s’occuper de ses enfants, observer ses personnages prendre vie et pétrir ses "terres". Mais aujourd’hui, ce sont deux livres qui sont en train de prendre forme sous ses doigts. Et si l’un prend bien racine dans Ses arpents, l’autre constitue un véritable nouveau départ vers d’autres thèmes… comme un espoir que deux idées peuvent bien cohabiter sur une même terre.

Agnès Fleury

* Extraits Le troisème jour (Denoël, 2010)

Crédits photos : Denoël, 2010

17 novembre 2010

Léonora Miano, la corde sensible

Miano"Je me revois petite fille, couchée sur le dos dans le jardin de mes parents, fermant et rouvrant les yeux en me demandant : « Pourquoi y a-t-il un monde et qu’y fais-je ?". Je ne prétends pas me pencher sur la première de ces questions. Mais, j’ai quelques éléments de réponse à propos de cette petite fille, née à Douala au Cameroun en 1973 et venue, à sa majorité, étudier et vivre en France. Devenue grande, Léonora Miano a tout abandonné pour se consacrer à l’écriture. Aujourd’hui, six livres ont paru, dont le dernier, Blues pour Elise, en octobre chez Plon. L’intérieur de la nuit (le premier), quant à lui, est désormais inscrit au programme des écoles camerounaises. De légitimes sujets de fierté pour celle qui écrit depuis qu’elle a huit ans ; mais surtout, le fruit de son talent, d’un immense travail et de convictions profondes et sereines.

Les vivants et les morts

En quittant le Cameroun, Léonora Miano n’a pas cessé de garder les yeux braqués vers le Continent. En se déplaçant, elle a su regarder et réfléchir sur son Afrique de plus loin et surtout, approcher une autre réalité, celle de la diaspora subsaharienne.

De France, la jeune femme évoque les souvenirs de sa jeunesse camerounaise avec émotion : "Une partie essentielle de ma vie s’est déroulée au Cameroun. Tous les éléments qui entrent aujourd’hui dans la composition de mon esthétique me viennent de ces années de jeunesse. J’y suis très attachée et ne conçois pas de finir ma vie sans faire quelque chose dans ce pays. J’y travaille doucement."Paradoxalement, un des premiers messages qu’elle a tenu à adresser à cette Afrique qu’elle chérit tant, a pris une forme étonnamment violente. En effet, sa trilogie africaine, entamée en 2005 avec L’intérieur de la nuit et achevée en 2006 avec Contours du jour qui vient, dressait le portrait rouge sang d’une Afrique équatoriale déchirée par la guerre et en proie à un obscurantisme destructeur. Trois livres qui sonnaient comme autant de voix discordantes que certains se seraient passés d’entendre… Mais, sereine, l’auteur continue préférer d’ignorer les critiques et voir dans ses livres "une démarche d’amour" envers ses frères. Solidement adossée aux écrits d’Edouard Glissant et aux travaux de l’historienne Nathalie Etoké, elle a donné corps à la Melancholia africana. Une mélancolie qui touche universellement les Noirs (d’Afrique, d’Europe, de Caraïbe et d’Amérique du Nord) et qui naît de l’héritage non-assumé de la traite négrière. Baignée de spiritualité, sa suite africaine reflètait une croyance ; les morts habitent le monde des vivants et ne les laisseront pas oublier le passé. Les aubes écarlates, élément central de la trilogie (mais publié plus tardivement en 2009), livraient ainsi une fiction en forme d’avertissement : "le tourment des disparus pèse sur le destin de vivants oublieux du passé. Tant que leur mémoire ne sera pas honorée, leur mésaventure se répètera (…)."

Toutefois, et depuis Tels des astres éteints (2008), Léonora Miano s’intéresse désormais davantage aux vivants qu’aux morts. Et vivantes, on peut dire qu’elles le sont ces jeunes femmes, personnages solaires et centraux de Blues pour Elise ! Akasha, Malaïka, Amahoro et Shale sont les Bigger than life ; "(…) intelligentes, financièrement autonomes, belles, chacune à sa manière […], filles de personnes d’important, crépues, portant des prénoms non alignés, des patronymes à l’ancrage lointain"*, elles dévoilent leur quotidien et ouvrent leur cœur à qui voudra les suivre. Tout au long d’un roman à la structure éclatée, ces quatre parisiennes, issues de la diaspora subsaharienne,  se retrouvent pour évoquer leurs amours, leurs déceptions et… leurs cheveux. Des personnages si familiers qu’ils engendrent la même addiction que des personnages de séries télévisées. L’auteur qui, tout comme le lecteur, "ne peut se résoudre à les quitter trop vite" a d’ailleurs déjà construit une tétralogie sous la forme de 5 saisons de Séquences afropéennes.

Black next door

Toutefois, l’apparente fluidité, l’évidente accessibilité du texte de Léonora Miano ne doit pas cacher le message du texte. Car,Miano_avecbande____C pour cette grande lectrice de la Bible qui pense que "la fuite de Marie, enceinte, et Joseph est un thriller. La création du monde est une fable. L’Apocalypse, un poème surréaliste" une seconde lecture est toujours proposée.

En effet, tout en suivant la vie de ces femmes dont chacune pourrait être une amie, une sœur, voire soi-même, Leonora Miano invite à découvrir les afropéens et les afropéennes ; ceux dont la couleur aurait dû les rendre visibles, mais dont le corps social français a fini par ignorer les spécificités. L’auteur s’étonne d’ailleurs "de ce que la représentation des Noirs de France dans leur intimité vienne d’un auteur né en Afrique. Ces textes auraient dû faire partie du paysage depuis longtemps, tant la présence noire en France est ancienne." La jeune femme est l’illustration même de ce qu’elle veut dire ; des études supérieures à Valenciennes, d’excellents professeurs, des week-ends à Paris avec son amoureux, une reconnaissance des milieux littéraires français (elle fût notamment le Goncourt des lycéens 2006)… et une identité unique, métissage de son passé, sa généalogie, son lieux de vie et ses apprentissages culturels. Etre noir et ne pas éprouver de difficultés d’adaptation, ne signifie pas pour autant se noyer dans la masse culturelle d’un corps social français plutôt blanchâtre.

Blues pour Elise convie donc son lecteur blanc à un ébouriffant et dépaysant voyage… sur le pas de porte de son voisin. Bijou vocifère dans un taxiphone en Camfranglais (l’argot camerounais à base de français, d'anglais et de langues camerounaises), les Bigger than Life se rendent dans un salon de coiffure du 10e arrondissement pour apprivoiser leurs cheveux crépus et déjouer la "déveine capillaire"* accablant les afro-descendantes… Et tout à coup, des scènes de la vie quotidienne française s’animent et s’éclairent. Et comme tous bons voisins dont les murs mitoyens ne seraient pas bien épais, les afropéens savent aussi faire partager leur univers musical ! Chaque "épisode" du livre baigne dans une ambiance sonore qui lui est propre. En passionnée de musique, Léonora Miano en détaille systématiquement la play-list. Et pour les fans, un bonus track est prévu…

La corde sensible

leonora_miano_35_ans_image_sousdossier_portraitMais un Blues n’est pas un zouk et Léonora Miano n’est pas femme à laisser passer une approximation. En choisissant le titre de son livre, qui est aussi celui de la dernière nouvelle, Blues pour Elise, l’auteur a clairement donné la teinte de son livre. Un bleu d’émotion.

Au-delà de la découverte de personnages forts en gueule, hauts en couleurs et fermes en convictions, le lecteur touche, comme en filigrane, à un monde de sentiments universels, où une larme s’essuie rapidement d’un revers de la main. D’un mot, d’un détail narratif, l’écrivain franco-camerounais sait faire vibrer la corde sensible qui est le meilleur du cœur humain. Là, c’est la douleur indicible d’une mère qui se résout à avouer à sa fille les tragiques raisons du désamour paternel. Plus loin, ce sont les petites humiliations que connaissent ces hommes noirs, fragilisés de vivre en Occident où "ils n’ont pas le pouvoir et ne peuvent offrir à leurs femmes le même type de promotion sociale qu’elles pourraient obtenir autrement". Ailleurs enfin, ce sont des notes de bas de page tellement signifiantes qu’elles prennent la taille symbolique d’une tête de chapitre : "1. Ici, l’étranger a le sens qu’on lui donne en langue douala du Cameroun. Il s’agit donc d’une personne qui n’est pas de la maison, mais qu’on reçoit avec les honneurs. C’est pourquoi ce mot se confond souvent avec l’invité."*

A l’image de son livre, c’est toute en retenue que Leonora Miano accepte de se livrer. Avec une volonté évidente de répondre honnêtement aux questions qui lui sont posées, devançant parfois certaines d’entre elles dans un site personnel et un profil Facebook foisonnants, l’écrivain franco-camerounais ouvre volontiers des voies d’accès à sa personnalité et à son écriture, accueille son lecteur – notamment les lycéens et étudiants camerounais travaillant sur ses textes. Sans effets de plume ou formules claquantes, elle "ne cherche pas à se définir en tant qu’auteur", mais poursuit doucement son chemin et son idée. Une simplicité, une rigueur qui touchent le cœur.

Et, parce qu’on ne se lasse pas de le lire sous la plume de Léonora Miano, voici une conclusion en forme de citation :
"Comment vivre avec des gens dont on ne sait rien ? Il me semble important de connaître ces personnes dans ce qu’elles ont de spécifique et dans ce qu’elles ont de commun avec les autres, le cœur humain étant toujours le même sous la couleur. On peut avoir le sentiment que j’enfonce des portes ouvertes, mais je ne le crois pas."
Je ne le crois pas non plus. On n’est jamais à l’abri d’un coup de vent qui pourrait faire claquer une de ces portes ouvertes à grands efforts.

Agnès Fleury

* Extraits de Blues pour Elise, Plon, 2010

Bibliographie :

http://www.leonoramiano.com/ 

http://www.culturessud.com/contenu.php?id=342 (Cultures sud – Entretien avec Léonora Miano - octobre 2010)

Crédits photo : Plon, 2010

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7 octobre 2010

Mamadou Mahmoud N’Dongo, correspondance(s)

N_DONGO_MMamadou Mahmoud N’Dongo est un beau personnage, de ceux qui attirent le portrait(iste). Porteur de son héritage peul comme de sa nationalité et sa culture française, nomade touche-à-tout saisissant tous les modes d’expression artistique qui passent à sa portée, il est écrivain, cinéaste, photographe. Pour l’heure, il a revêtu ses habits d’écrivain. Son cinquième livre, La géométrie des variables, vient de paraître chez Gallimard, aux Continents noirs. A cette occasion, nous nous sommes écrits. Extraits de notre correspondance, où il est question d’écriture, de voyages et de transmission.

"On s'intègre toujours mieux avec ses deux jambes"

Sensible à l’image et au mouvement, remarqué dès ses premiers livres pour son écriture rapide et cinématographique, Mamadou Mahmoud N’Dongo parle de lui comme il écrit : par touches impressionnistes. Planter un décor, brosser une scène, écrire comme on parle, à l’économie ; il nous invite à le connaître par fragments.

De son enfance africaine, il ne garde qu’un souvenir fugace et douloureux. 5 ans, un ongle écrasé dans un aéroport, et déjà il s’apprête à grandir à Drancy. C’est là, en Seine-Saint-Denis, qu’il commence à se construire. Une construction qui se fait en prise avec la cité, mais aussi et surtout en opposition au déterminisme social qui la régit : "(…)vous vivez et vous finissez par être en périphérie de la périphérie, vous n’aspirez qu’à une chose : vous en échapper, alors vous êtes curieux de tout pour fuir votre quotidien (…)". Le jeune homme lit, suit des cours d’histoire de l’art et de littérature, lit, apprend à jouer de plusieurs sortes d’instruments de musique, lit… et finit par se faire la belle. Il devient photographe, cinéaste, écrivain. Il voyage, vit à New York, Amsterdam, Paris, Barcelone… L’homme est-t-il devenu nomade ? "Vous savez… le nomadisme n’existe pas… où que vous alliez vous partez avec vous-même. New York, Amsterdam, Paris, Drancy, Barcelone… ce sont des espaces, des cultures, c’est ce que vous en faites, disons plutôt, ce que vous êtes disposé à en faire… C’est le regard, votre grille de lecture, votre perception, dans mon cas, ce n’est pas tant les villes qui m’importent, mais comment les habitants perçoivent cette ville (…)".

Ce n’est donc pas de fuite qu’il s’agit, car ce que Mamadou Mahmoud N’Dongo aime, c’est revenir à son point de départ, riche de tout. Et tout est là, bien présent : Séville et sa lumière, Brooklyn et ses rencontres, Drancy et ses métissages, le Sénégal dont il porte la culture et la langue grâce à la transmission de ses parents. Le jeune homme le revendique : "On s’intègre toujours mieux avec ses deux jambes". Et, il faut le reconnaître, en plus de lui assurer un maintien élégant, être bien campé sur ses deux "jambes", ouvert à ses métissages, lui permet de creuser avec justesse la thématique des groupes identitaires, de leurs codes et leur langage.

Altas

Par ses récits et ses romans, Mamadou Mahmoud N’Dongo interroge les identités des minorités ethniques et des classesCouverture sociales. Déjà, L’errance de Sidiki Bâ (Harmattan, 1999) ouvrait une brèche dans la mémoire tourmentée d’un tirailleur sénégalais. Puis, Bridge Road (Serpent à plumes, 2007) offrait la relecture d’un lynchage raciste dans le sud des Etats-Unis. Enfin, El Hadj (Serpent à plumes, 2008) jetait un noir éclairage sur la mafia de la banlieue nord de Paris. Avec La géométrie des variables, l’écrivain franco-sénégalais tourne son regard acéré vers un autre obscur milieu, celui des communicants politiques.

Pierre-Alexis de Bainville, une distinguée vieille gloire, et son brillant disciple, Daour Tembely, y sont des "faiseurs de pluie" ; ces hommes de l’ombre qui, par leur expertise en géopolitique et surtout en rhétorique, font et défont les carrières des "grands" de la politique mondiale. Par les aléas de l’âge et des mutations, ils ne sont plus vraiment sur le devant de la scène (ou plutôt de la coulisse). Mais ils promènent encore, en Europe, en Afrique, aux Etats-Unis, le cynisme très professionnel de ceux qui savent et qui savent dire (ou faire dire). Et comment éviter le cynisme quand une présidence peut s’emporter par la grâce d’un plan de communication et la démocratie se vendre comme un slogan publicitaire ?

Les deux personnages travaillent d’ailleurs pour une "agence" : Altas, la bien nommée. Les hautes sphères, voilà de quoi il s’agit. Des hautes sphères politiques, qui sont également culturelles, médiatiques, artistiques. Au détour des aventures de Tembely et de Bainville, Mamadou Mahmoud N’Dongo croque un photographe minimaliste, une chorégraphe du Théâtre de la ville, une soirée culturelle dans un penthouse à New York et tisse un lien ; un lien qui est en réalité une "langue" faite de codes, qui va même au-delà du langage à proprement parler. L’auteur le sait : "Dans une langue, il y a une culture, mais plus encore une identité commune… Toutefois, une langue ne se suffit pas à elle-même, on se passe très bien du langage, il suffit de voir comment on arrive à se faire comprendre, quand les deux parties ont le souhait d’être en concorde." Et parfois, quand les intérêts se mêlent, la concorde est souvent synonyme de compromission. Les personnages se comprennent à demi-mots et se citent les uns les autres ; un nom, une marque, un titre suffisent. Ils savent qu’ils sont entre eux. Insidieusement, le lecteur est aussi invité au jeu du name-dropping : si nous partageons certaines de leurs références, alors nous savons que nous sommes aussi entre nous… L’humour – grinçant – permet de dédramatiser.

L’appartenance à un milieu, et notamment aux Altas, est quelque chose dont on ne se défait jamais totalement. L’auteur peut en témoigner. "Je suis né dans une famille peule, et la culture peule est une culture de caste, toute votre vie est conditionnée par un fort déterminisme. Par votre naissance vous appartenez à cette caste : j’appartiens à la noblesse, et dès mon enfance on m’a élevé avec cette spécificité, je suis un noble peule, c’est mon premier héritage. C’est ainsi que j’ai appris enfant que j’avais plus de devoirs que de droits."

Lire, citer, transmettre

MMNL’allusion à son héritage culturel personnel n’est pas anodine. L’apprentissage et la transmission sont au cœur des préoccupations de l’homme comme de l’écrivain. Mamadou Mahmoud N’Dongo évoque ce thème, utilisant le biais de ses deux personnages : "Pierre ou Daour ont une culture, et il n’y pas de culture sans transmission". Il ne faut en effet pas se méprendre à la lecture de La géométrie des variables. Le cynisme n’y règne pas seul en maître. Il y a la place pour une certaine tendresse (des personnages entre eux, du regard bienveillant que l’auteur porte sur eux). Car, qui dit codes de groupe, dit aussi connivence ; qui dit rites identitaires, dit aussi filiation. Tout se passe comme si ces personnages se racontaient des anecdotes et se citaient des phrases pour se transmettre quelque chose, comme on préparerait un enfant à sa vie en lui racontant toujours les mêmes contes imagés, truffés de formules orales rituelles.

Mamadou Mahmoud N’Dongo aussi parsème ses propos de citations des auteurs qui lui sont chers. Pour s’en expliquer, il aime… citer Borges : "On lit ce que l’on veut et on écrit ce que l’on peut"*. Il faut dire que sa culture littéraire est vaste. Pour s’en convaincre, il suffit de l’écouter donner un aperçu de l’encombrement de sa table de chevet : Burroughs, Wittkop, Thompson, Arénas, Bolaño, Ted Lewis… Ce n’est rien de dire que la liste n’est pas exhaustive. Toutefois, ce besoin de nourrir et d’enrichir sa pensée et son écriture de celles des autres pour, à son tour, les transmettre, ne s’assouvit pas grâce aux seules "autorités morales". L’artiste sait puiser les ressources là où elles se trouvent. Chez les lecteurs par exemple, critiques comme amateurs : "Je me reconnais dans ce qu’on pointe et parfois je suis même étonné des lectures qui sont faites par certains critiques qui indéniablement m’apportent beaucoup (…)". Mamadou Mahmoud N’Dongo serait même tenté par la transmission par capillarité : "Si vos amis ont du talent, c’est donc que vous en avez aussi ! J’ai eu cette réflexion en faisant le point ce matin. J’ai reçu BEYOND du peintre M’Barek Bouhchichi, et comme beaucoup de mes amis sont talentueux, je me dis que peut-être, d’une certaine manière, c’est mon talent à moi!".

C’est au sein de cette communauté artistique, de ce milieu qu’il s’est choisi, que le jeune homme évolue désormais, attentif à ses codes et ouvert aux transversalités entre les disciplines qu’il propose. Pourtant, il reconnaît encore que ses « plus belles joutes », il les a eues en bas de son immeuble, dans son hall, à Drancy. Partir, découvrir, faire sien, puis revenir, il vous dit.

Agnès Fleury

* Mots croisés avec… Mamadou Mahmoud N’Dongo, écrivain : De l’autre côté du monde (culturessud.com)

Crédits photographiques : En haut à gauche: Catherine Hélie / Ed. Gallimard ; en bas à gauche: Julie Rochereau

15 août 2010

Sergio Aquindo, le tangueur argentin

aquindo_autoportrait_1Vieille blague argentine : "Oh monsieur, vous êtes argentin ? Vous devez savoir danser la samba ?". "La samba, c’est une danse brésilienne…". "Oh ! Vous devez, alors, savoir danser le tango !". "Non, je n’aime pas danser".

Comme quoi, les légendes et les à-peu-près (pour ne pas dire les préjugés) ont le cuir dur. Connaître l’illustrateur-écrivain Sergio Aquindo, c’est apprendre à s’en défaire un peu. Argentin, lui non plus ne danse pas le tango (non plus que la valse, d’ailleurs). Mais il écrit, dessine et grave avec passion.

Argentin de sang et parisien de cœur

Sergio Aquindo vit dans le 19ème arrondissement de Paris où il partage un appartement avec d’autres jeunes gens. Mais, malgré l’accent râpeux qui vient vite cogner l’oreille, la facile comparaison avec une joyeuse et insouciante Auberge espagnole n’a pas sa place ici. Car son installation en France n’a pas été une partie de plaisir.

C’est en 1999 que, laissant son Argentine natale derrière lui "à la recherche d’horizons artistiques", le jeune homme débarque en Europe. Toutefois, Barcelone, Lisbonne puis Londres ne parviennent pas à le retenir. Enfin, à Paris, la Gare du Nord et ses cafés lui accrochent le cœur. Quel joli paradoxe est à l’origine de son choix ! C’est parce que cette atmosphère lui fait penser à Buenos Aires que Sergio Aquindo se dit que c’est ici, dans la capitale française, qu’il pourrait poser ses valises et ses cartons à dessins.

Les premiers temps sont marqués par l’errance ; il vit chez les uns et les autres, écume les maisons d’édition parisiennes, marche dans la ville, jour et nuit. La bibliothèque de Beaubourg, celle que ce grand lecteur surnomme affectueusement "le café le moins cher de Paris", lui "sauve la vie". Grâce aux livres et aux cassettes des méthodes de langue, il apprend le français en six mois. Mais, Sergio souffre de ne pas avoir de point d’ancrage et, privé des moyens et de la disponibilité d’esprit nécessaires à sa création, ne produit pas. Il ne peut que laisser les images s’impressionner et les idées s’accumuler.

Les années passent et "le boulot, les papiers, les perspectives d’avenir" sont toujours autant de problèmes. "Le mythe de l’Europe" a vécu. Et puis, "l’Argentine, les gens du sud, les amitiés fusionnelles, la lumière" lui manquent. Parfois nostalgique, intimement persuadé que c’est le pays qui l’a vu naître qui le verra vieillir, Sergio Aquindo sait pourtant qu’il va rester ; car "Paris, c’est la course à la réalisation, l’énergie constante, les projets".

"La course à la réalisation, l’énergie constante"

De projets, il n’en manque pas. Son talent et son infatigable énergie lui permettent de commencer à07_Practica_presen_bis publier.

Illustrateur, il débute sa collaboration avec plusieurs journaux et revues. Le Monde, Le Tigre, XXI, Le Magazine littéraire lui ouvrent régulièrement leurs feuilles. Dans le même temps, deux livres voient le jour : Les Jouets perdus de Romilio Roil, (R de réel, 2001) et La Mère Machine : l’histoire des ateliers Tosco, (Rackham, 2009), qui se présentent, tous deux, comme les catalogues d’inventions improbables de génies méconnus et oubliés.

Faisant la part belle à des planches techniques/graphiques et à des carnets de travail imaginaires, qui sont autant de fines gravures oniriques, La Mère Machine répertorie les nombreuses versions de cette fabuleuse invention, variations fantasmées sur une femme/mère des temps modernes. Ou plutôt, devrait-on dire des temps anciens. Car, c’est l’Argentine des années 30 que l’on découvre à travers les déboires du génial Tulio Tosco.

Baignant dans une douce atmosphère surannée, le lecteur-spectateur de La Mère Machine y découvre un incroyable mélange culturel ; une subtile (con)fusion entre terre d’Amérique du sud et influences méditerranéennes de la vieille Europe… En effet, l’illustrateur-écrivain sait rendre, à travers son dessin comme à travers la langue de ses textes, cet étonnant aspect, qui, pour lui, fait de l’Argentine, "l’Europe de l’Amérique Latine".

Entre deux langues, entre deux cultures

02_Discr_plan_int_2Le jeune artiste lui-même est une vivante illustration de cette rencontre culturelle entre deux continents. Bien que formé au contact (il se dit autodidacte) de la traditionnelle et renommée école de dessin argentine, Sergio Aquindo a enrichi son trait d’influences glanées le long de son chemin en Europe. Topor, Daumier, Toulouse Lautrec, Dürer, Otto Dix sont fréquemment convoqués autour de sa table à dessin.

Une très belle phrase surgit au détour de la conversation ; "[son] dessin de maintenant, c’est [sa] façon à [lui] d’être étranger". Il pense qu’il lui faudra du temps pour le faire accepter en France ; "trop dense, trop critique, trop noir".

Ce foisonnant mélange se retrouve aussi dans ses textes. Sergio Aquindo "travaille entre deux langues", comme on tangue entre deux eaux. Bien que pratiquant un français parfait, il écrit de préférence en espagnol. "Pour la cohérence et la fluidité", mais aussi parce que les mots en espagnol d’Argentine ont, pour lui, un très fort pouvoir d’évocation poétique. Pour être publiés en France, ses textes sont alors traduits et même adaptés, car le français ne se prête pas à la même souplesse.

Entre espagnol et français, entre textes, dessins et gravures, l’œuvre à multiples facettes de Sergio Aquindo va se poursuivre dans le cadre estival d’une résidence d’artiste à la Maison des Auteurs d'Angoulême. Les projets se bousculent et il sera question, cette fois, du métro aérien de Paris et de l’Amérique des années 30. Pour celui qui accepte parfois de jouer "l’argentin de service" comme on porte un masque, mais qui, pour éviter de se faire enfermer dans une exotique catégorie, refuse d’être présent dans les expositions argentines, le numéro d’équilibriste est donc loin d’être terminé.

Agnès Fleury


On peut suivre son travail d’illustrateur dans son blog : sergioaquindo.blogspot.com

Ses recherches, (écrites ou dessinées), sur le blog : minameisdanger.blogspot.com

Et finalement, le travail de ses "inspirateurs", sur le blog : troesmas.blogspot.com

22 juillet 2010

Jerome Charyn, entre deux mondes

JCHARYN2"- Les sucettes ont fait leurs coups à Manhattan. Pourquoi le Queens? - Dieu seul le sait... Ce qui est sûr, c'est qu'un gamin chinois s'y traîne, doigts et orteils cassés (...) Les spaghettis lui sont tombés dessus pour avoir mis le chambard dans Little Italy..."
A lire cet extrait de "Marilyn la dingue", la bande dessinée* adaptée par Jerome Charyn de son polar éponyme publié en 1974, notre imaginaire d'amateur de Série Noire s'emballe. A quoi ressemble un maître du polar noir américain? D'autant que le personnage a de multiples facettes. Américain installé à Paris, il est l'auteur d'une oeuvre foisonnante (plus de 30 romans, essais, pièces de théâtre, bandes dessinées...) mais aussi professeur à l'université américaine de Paris, où il enseigne l'histoire du cinéma et l'art du scénario.
Rencontre de quelques instants avec Jerome Charyn.

La figure de "l'américain à Paris"

Loin de la New York d’Isaac Sidel**, communautaire et fantasmagorique, qu'il aime peindre dans ses romans policiers, Jerome Charyn nous reçoit dans son appartement au chic parisien du quartier Froidevaux. L'homme, élégant, renvoie l'image un peu surannée d'un aristocrate de la vieille Europe. Cet enfant du Bronx populaire des années 40 est pourtant bien né aux Etats-Unis et continue d'entretenir une relation intime avec New York ; dans son imaginaire et ses souvenirs, dans son écriture et sa langue. D'ailleurs, l'écrivain préfère s'exprimer en anglais. Un anglais précis et clair, émaillé de mots français venus souligner les points importants de sa pensée.
Installé à Paris depuis 1995, Jerome Charyn connaît bien le français et le pratique très honorablement. Mais, cette langue ne lui est simplement "pas familière". Il ne parvient pas à écrire, penser ou rêver en français et... ne le souhaite pas. Sa langue, celle dont il aime travailler la musicalité, c'est l'anglais.

Le paradoxe de l’homme, c'est qu'il préfère pratiquer sa langue natale, loin de son pays natal. S'il peut travailler à New York, il ne pourrait plus vivre aux Etats-Unis où "il ne se sent pas bien". "C'est une société brutale, sans considération pour les jeunes comme pour les vieux". La critique est véhémente. Ce pays le "rend fou". Quand il regarde la télévision (CNN ou American Idol), il se sent en marge, "sur une autre planète".
A l’inverse, l’écrivain américain apprécie l’Europe pour sa douceur, comme pour l’importance accordée à la culture et ce qu’il désigne comme des "valeurs".
Et de citer Roberto Bolaño, un écrivain chilien installé en Espagne qui ne s’est vu reconnaître aux Etats-Unis comme un des écrivains les plus marquants de sa génération qu’après sa mort. Tout comme Jerome Charyn, New York, voici un auteur qui n’a jamais si bien évoqué l'Amérique latine que d’ailleurs.

Identité, cinéma et bande dessinée

Tout au long de son œuvre prolifique, Jerome Charyn n’a cessé de se raconter et de nourrir ses écrits LaDingued’éléments biographiques. Rédiger trois autobiographies – même au cours d’une vie bien remplie – n’est pas courant. Cet écrivain juif américain de la seconde génération, tel qu’il se définit lui-même***, ne veut pas y voir une quête d’identité ou un besoin irrépressible de se mettre en scène, mais évoque une "stratégie d’écriture". Ces autobiographies ont été avant tout un moyen de faire revivre sa mère - une juive originaire de Biélorussie, "belle comme Joan Crawford" - dans une fiction.
Abrupt dans sa façon de se livrer, Jerome Charyn révèle que "L’écrivain est une sorte de monstre. Un monstre qui n’aurait pas de vie si ce n’est celle qu’il vit à travers son œuvre". L’écriture occupe tout son esprit. Le matin au lever et le soir au coucher, il écoute intensément la musique de sa langue.

Les mots ont toutefois su laisser la place à l’image, l’autre grande passion de Jerome Charyn. Des films de séries B, des classiques américains aux plus grands films européens, à la manière d’un Quentin Tarantino (dont il est admirateur), le gamin du Bronx s’est gavé de cinéma. Son écriture y a puisé la rapidité et la précision de narration, le sens du mouvement et l’immédiateté visuelle des personnages.
Dès lors, on ne peut s’étonner de l’intérêt de l’écrivain pour la bande dessinée (qui le lui rend bien). Ainsi, "Marilyn la dingue" est la 11ème collaboration de l’américain avec un dessinateur européen. Avant Rébéna, Boucq, Loustal et Munoz ont mis ses textes en images. Oubliés les Captain Marvel et Krazy Kat de sa jeunesse, Jerome Charyn ne jure plus que par cette bande dessinée européenne qui, par son utilisation de la langue et du mouvement, s‘apparente beaucoup au roman, et qui surtout le "bouleverse" (en français).

Tout en gestes posés et en contrôle, l’homme marcherait donc bien aux sentiments. Et aux projets… Dans ses cartons, plusieurs livres sont en chantier ; du Massachusetts d’Emily Dickinson à la Berlin de la seconde guerre mondiale, Jerome Charyn n’a pas choisi. Il s’est installé entre deux mondes.

Agnès Fleury

* Marilyn la dingue, Charyn, Rébéna, Denoël Graphic, 2009
** "Le Plus Grand Flic du Monde", fameux héros de Jerome Charyn. Tétralogie Isaac Sidel : Zyeux-bleus, Marilyn la dingue, Kermesse à Manhattan et Isaac le mystérieux
*** Juifs entre autres par Jerome Charyn in Le Magazine Littéraire

www.jeromecharyn.com

22 juillet 2010

Gilbert Gatoré, le passé devant soi

Gilbert_Gatore"Ce matin-là, la radio lui hurla que, dans un pays dont la seule évocation la figeait d’inquiétude, le nombre de prisonniers était tel qu’au rythme des jugements, il faudrait deux ou trois siècles pour examiner le cas de chacun des détenus."* Ce pays, c’est le Rwanda d’après le génocide de 1994. Et, cette phrase, c’est le ressort narratif du Passé devant soi, premier roman très maîtrisé de Gilbert Gatoré, jeune écrivain né au Rwanda et installé en France depuis 11 ans. Un roman où s’entremêlent les récits chaotiques et les voix entêtantes de deux personnages, le muet Niko et la belle Isaro, deux facettes symboliques des acteurs du drame rwandais.

"Comment être écrivain et rwandais ?"

Et nous voici avec l’auteur, en compagnie duquel il n’est pas nécessaire de rester bien longtemps avant de comprendre que la façon dont son livre est lu et perçu le plonge dans un océan de doutes. "Comment être écrivain et rwandais ? Comment se présenter sans rencontrer tous les stéréotypes qui se profilent derrière le concept d’écrivain rwandais ? Comment défendre un propos propre ?". C’est bien tout le problème que lui pose son roman, fiction construite sur les ruines du génocide de 1994. Car Gilbert Gatoré reconnaît avoir vécu personnellement peu de choses de ce qui y est décrit. Et il n’est pas loin de croire que tous les détails pittoresques donnés dans les biographies le concernant vont finalement à l’encontre de ce qu’il veut écrire. "Il n’y a pas d’équivalence, pas d’identification à chercher".
Le jeune écrivain se défend du parallèle systématique qui est souvent fait entre Le journal d’Anne Franck et ses carnets d’enfant, confisqués par un douanier à la frontière du Zaïre quand, avec sa famille, ils parviennent à prendre la fuite en 1994 de leur pays ravagé par la guerre. C’est vrai que ce livre, offert par son père, avait marqué sa jeune imagination fertile. Mais il demande qu’on se contente d’imaginer la réaction d’un enfant qui aime déjà écrire et qui se trouve tout à coup confronté à une violence inouïe et une guerre inimaginable… Il parle doucement de la "tentation de l’occasion".
Discret, le jeune homme ne polémique pas, mais il demande de plus en plus fréquemment qu’on veuille bien considérer son écriture plutôt que de chercher un "témoignage" qu’il ne revendique pas. Un lecteur attentif aurait pu toutefois se douter de ce qui l’attendait en rencontrant l’auteur du Passé devant soi. Les avertissements émaillent le texte, comme si la crainte d’une confusion fiction/réalité naissait avec l’écriture. "Cher ami, ce récit t’appartient maintenant. (…) si jamais il t’a touché, assure-toi de ne pas le prendre pour autre chose qu’un mensonge sans intention, un remède sans effet."*

"Le travail de mémoire se fait malgré soi"9782752903099

Gilbert Gatoré ne s’interdit pas pour autant d’évoquer le passé et le présent de son pays d’origine, le Rwanda, et les thèmes qui lui sont chers, la mémoire et la justice.
Le roman, à travers ses deux personnages, donne à voir un aspect extrêmement destructeur du travail de mémoire. Alors que Niko, l’ancien et sanguinaire "Enragé volontaire"*, se délite – au propre comme au figuré – en voulant fuir sa mémoire, Isaro, la victime exilée en quête de vérités, se laisse dévorer en voulant la (re)trouver.
L’écrivain, lui, distingue deux plans dans ce travail de mémoire du génocide. A "l’aspect poétique et dramatique de la fiction qui permet de poser la question avec gravité comme métaphore du poids de ce que ça représente" s’oppose la réalité. Au Rwanda, aujourd’hui, il y a le suicide, la folie, les cicatrices et puis aussi des gens qui continuent à vivre. Car "le travail de mémoire se fait malgré soi". Le jeune homme évoque Jean Hatzfeld qui, dans Une saison de machettes, aborde la complexité du conflit rwandais, le pardon difficile et la honte, aussi bien qu'il parle de la "vraie vie". La vie de cette femme rwandaise qui a pardonné à son bourreau, son voisin, venu lui demander pardon, puis revenu… lui demander de lui prêter de l’argent car, depuis sa sortie de prison, il ne parvenait pas à gagner sa vie.
"Que répondrais-tu à quelqu’un qui affirmerait qu’un meurtrier, même le plus acharné, ne se confond avec son geste qu’au moment précis où il le commet ? Avant ce geste quelque chose du futur assassin n’est pas encore dans le meurtre et, après, quelque chose du coupable ne s’y résume pas."*
En ce moment, Gilbert Gatoré lit Surveiller et punir de Foucault, un livre qui éclaire certaines de ses interrogations, en redonnant au châtiment sa dimension symbolique. "Le génocide rwandais étant de nature extraordinaire, une conception normale de la justice est impuissante pour y faire face. Un million de morts, autant de tueurs. Face à cette situation et une justice débordée, seul son aspect symbolique permet d’en sortir".

9782264048264"Vivre la vie pour la raconter" (Gabriel Garcia Marquez)

Et puisqu’on parle de livres des autres, l’écrivain évoque son livre de chevet, Les mille et une nuits, dont la lecture est, pour lui, obsessionnelle et répétitive. Un ouvrage de "construction parfaite et qui permet d’englober le monde et de le mettre à distance". Par ce biais, on en revient à lui, à sa façon d’écrire. Il ne commence à écrire que lorsque toute la structure du récit est faite. Jusqu’aux noms et aux décors, il ne laisse rien au hasard avant la mise sur papier. Ainsi, s’il existe bien déjà un "prochain texte", il ne vit pour l’instant que dans sa tête.
Et le reste du temps ? Gilbert Gatoré vit. Il achève des études, interrompues le temps d’écrire son roman, cherche un emploi, profite des mille possibilités qu’offre Paris. Il est surtout persuadé que l’enfermement et le recueillement ne sont pas les meilleurs modes d’inspiration. D’ailleurs, le jeune homme ne se voit pas "écrivain professionnel", pas plus que ses parents ne le voyaient "saltimbanque" (artiste). Il sait que si le besoin impérieux d’écrire se fait sentir, il saura se ménager la parenthèse de temps nécessaire à son assouvissement.
Ainsi, les Figures de la vie impossible ou le nom que Gilbert Gatoré donne à l’ensemble de son œuvre auront leur tome 2.

Agnès Fleury

* Le Passé devant soi, éd. Phébus, 216 p.

22 juillet 2010

Jake Lamar, un américain à Paris

jake_lamar_4Le ciel est de plomb. Les revendications sociales agitent la rue. Par cette morose journée de novembre, j’ai rendez-vous près de Montmartre avec Jake Lamar. Ca tombe bien Rendez-vous dans le 18e, c’est le titre du polar de l’écrivain noir-américain, dernier en date à avoir été traduit en français aux éditions Rivages. Le café qu’il a choisi est accueillant, l’homme est chaleureux, son sourire solaire.

"Ricky Sourit. C’était l’effet que lui faisait Paris en général, et le 18e en particulier : quoi qu’il lui arrive, (…) il lui suffisait d’aller faire un tour dans les rues grouillantes de son quartier pour que tout s’arrange"*. Ricky Jenks est le personnage principal de Rendez-vous dans le 18e. Mais, quelques instants en compagnie de Jake Lamar suffisent pour sentir que ce n’est pas fiction. L’écrivain est heureux à Paris.

Un américain à Paris

Paris, c’est le rêve de toujours d’un petit garçon noir qui a grandi dans le Bronx à New York. Jake a 12 ans et il dévore Go Tell It on the Mountain, le récit autobiographique de James Baldwin. Apprenant que l’auteur vit à Paris, la décision de l’enfant est prise. Lui aussi partira pour la capitale française.
En attendant, la vie suit son cours. Jake Lamar suit des études d’histoire et de littérature américaines à Harvard et devient journaliste au Times.
En 1991, avec son premier livre, Bourgeois Blues, il remporte un prix. L’argent lui permet de réaliser enfin son rêve. Et, en 1993, le jeune écrivain débarque à Paris avec l’ambition d’y vivre une année entière. "C’était juste une aventure". Il ne connaît personne et ne parle pas un mot de français. Mais il se laisse prendre par la douceur de l’air.
Trois ans plus tard, Jake lutte encore avec la langue française mais il est tombé amoureux de celle qui deviendra sa femme et sait déjà qu’il ne "rentrera" plus.

Dîners parisienscb_rv_dans_le_18e

Mais ne pas rentrer ne signifie pas pour autant perdre contact avec la communauté noire-américaine. Car, si celle-ci est peu nombreuse à Paris, elle est extrêmement soudée. L’auteur s’avise vite qu’il y a "des connexions partout" et qu’il est "rare d’avoir plus de deux degrès de connaissance avec un autre noir-américain à Paris".
Les relations qu’il entretient avec cette communauté sont partout présentes dans ses livres parisiens et lui offrent l’inspiration pour un des passages les plus marquants de son polar : les dîners d’Archie Dukes ou les dîners "d’un million d’hommes parisiens", hommage à la marche de réconciliation d’un million d’hommes noirs-américains en 1995 à Washington.
"Ils avaient besoin de se retrouver pour parler de leur quotidien et échanger leurs expériences comme ils n’auraient pu le faire avec des gens issus d’horizons différents. Ils avaient besoin de reconstituer, ne fût-ce que de façon purement libre et informelle, leur communauté"*.
Jake Lamar n’évoque pas autrement les dîners parisiens de son ami Tannie dans les années 1990. Tous les premiers vendredis du mois, sa maison et sa table étaient largement ouvertes au roulement d’une trentaine de "frères" qui riaient et débattaient dans un argot que l’auteur qualifie de très spécifique.
Aujourd’hui, ces dîners se sont mués en Happy Hours qui ne réunissent plus qu’une dizaine d’hommes. Mais Jake reste fidèle à ce rendez-vous. Car s’il habite en France, il reste "obsédé par la politique américaine". L’homme ne se considère pas en exil mais sait qu’il ne pourra plus vivre dans un pays ou les "questions raciales, le mode de vie, l’obsession pour l’argent et le succès, le darwinisme social" le rebutent depuis toujours. Et de conclure dans un demi-sourire, "les Etats-Unis, c’est comme un membre de ta famille que tu aimes mais qui te rend fou".

"La grande différence entre la France et l’Amérique"

Des six livres de Jake Lamar, deux sont des romans dont l’action se situe à Paris (Rendez-vous dans le 18e et Les fantômes de Saint-Michel, prochain roman à paraître chez Rivages) et sont l’occasion pour lui de faire part de sa "grande révélation".
"Vous savez quelle est la grande différence entre la France et l’Amérique ? fit Ricky. Si l’on parle du racisme officiel (…) la France suit l’Amérique de très près. (…) Mais la grande différence, c’est ce que j’appelerai le racisme quotidien"*.
JLamarUne fois encore, Jake s’exprime par la bouche de son personnage. Le racisme est tout aussi présent en France qu’aux Etats-Unis, mais les formes en sont très différentes. "Aux Etats-Unis, le racisme est surtout une question de couleur. Il suffit que tu sois noir. En France, le racisme est plus subtil". Jake sait maintenant d’expérience que s’il se fait contrôler dans la rue, son passeport américain fera office de sésame. Il n’en est pas de même pour ses amis noirs, originaires d’Afrique.
Il est un autre paradoxe qui ne laisse pas de frapper l’américain. "Aux US, noirs et blancs travaillent ensemble en vertu de l’affirmative action, mais quand ils sortent du bureau, les rapports n’existent plus. En France en revanche, il y a moins de racisme dans les rues. Les couples et les groupes d’amis mixtes sont très nombreux".

Vivre en France, écrire en français

Plusieurs projets occupent aujourd’hui l’américain. Des idées de romans lui trottent dans la tête. Et, en janvier, il débuttera sa 2ème session de cours en anglais à l’Ecole Polytechnique sur l’histoire et la mythologie de New York.
Et le français ? Jake sourit. Pour celui que l’on appelle généralement "Jack" en France, la langue française n’est pas une évidence. Il reconnaît avoir mis plus de 4 ans et essayé plusieurs méthodes linguistiques, de l’Alliance française aux cours particuliers, avant de parler français. "C’est une question de confiance avant tout".
Si l’écrivain ne se sent pas encore prêt à écrire un roman dans sa langue d’adoption, il se sait maintenant capable et avide de travailler en français. Le théâtre lui en a offert l’opportunité. Cette année, pour la 2ème fois consécutive, il collabore, au théâtre de la ville de Sevran, à un projet de mise en scène de son ami, Karim Yazi. Sous le titre provisoire Les mémoires qui tombent, Jake travaille avec 4 acteurs sur l’improvisation et l’écriture. Les acteurs improvisent et Jake propose des dialogues, un chemin narratif. "C’est très exitant. Une sorte de libération". Et sous le coup de cette exitation créative, il remarque à peine que les idées et les mots lui sont venus naturellement en français.

Agnès Fleury

* Extraits tirés de Rendez-vous dans le 18e édité chez Rivages/Thriller

www.jakelamar.com

22 juillet 2010

Youssef Jebri, littérature, témoignage et engagement

Photo_youssefYoussef Jebri est né au Maroc, mais il y a 10 ans, il a voulu venir vivre en France. Tout comme Hicham, tout comme Slimane, candidats à l’émigration clandestine et personnages de ses deux livres parus à quelques mois d’intervalle aux Editions du Cygne. Fiction ou témoignage ? Rencontre avec un jeune écrivain engagé et prolifique.

"Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite"

Il sait qu’il n’y échappera pas. On lui pose toujours la question. De la part de l’autobiographie dans ses livres, Youssef Jebri a donc pris soin d’y réfléchir. Dans Le manuscrit d’Hicham : destinées marocaines, il s’est prémuni. "Toute ressemblance…". Formule consacrée. Et pourtant le temps passant, il reconnaît y avoir mis une part inconsciente de lui-même. Dans Réflexions clandestines, en l’absence de tout avertissement, le lecteur pensera ce que bon lui semble. L’auteur, lui, sait qu’il joue désormais avec le doute, une ressemblance possible.
Pourtant, la clandestinité, l’immigration illégale ne font pas partie de l’histoire de Youssef Jebri. Son arrivée en France, il la décrit plutôt comme un cheminement naturel, un aboutissement et, tout compte fait, un parcours plus facile qu’il ne s’y attendait.
Depuis toujours bercé de littérature française, formé à ce qu’il appelle "la philosophie des Lumières" par l’école française, mais aussi attiré par l’occident des paraboles, il quitte le Maroc pour la France en 1997. Un visa de long séjour en poche, il s’installe à Paris et s’y marie. Il obtient sa naturalisation rapidement. La demande est déposée en décembre 1998. A sa grande surprise, le consulat l’appelle et le convoque en janvier 1999. Le voici donc français "partout dans le monde, sauf au Maroc" comme une lettre signée du Président de la république française n’oublie pas de lui rappeller.
Son intégration professionnelle, au sein d’une grande compagnie d’assurance, ne soulève pas davantage de vagues. Le jeune homme se dit même satisfait de son "évolution dans l’entreprise".
Pourtant, à la fin de l’année 2006, il décide de se consacrer exclusivement à l’écriture. En 2007, deux livres paraissent aux Editions du Cygne. Il sourit et parle "d’équilibre personnel, d’adéquation avec ses rêves d’adolescent". Son entourage le trouve épanoui.

Littérature, témoignage et engagementREFLEX

Au delà du parcours souple, du sourire tranquille de l’homme, les mots de l’écrivain sont âpres. Ses courts écrits donnent à lire des vies d’hommes venus du sud se confronter au nord, au risque d’y perdre leur vie et leur dignité.
La rage, la colère, la haine et la peur rôdent. Slimane dit : "Moi aussi, j’ai peur. (…) Dans le métro, j’ai tellement peur que je transpire, la sueur dégouline abondamment sur mon front"*. Ces sentiments extrêmes, Youssef ne les a pas vécus mais il les a vus brûler dans les yeux des autres. Il cherche ces regards. Dans la ville, il marche, va au-devant des rencontres et observe. Il se voit d’ailleurs moins comme un écrivain que comme "un auteur, un observateur, un marcheur, un urbain".
Plus que la forme, c’est le fond qui lui importe. Et le fond, c’est la dénonciation du racisme ordinaire, des atteintes quotidiennes aux libertés fondamentales. "Liberté de s’exprimer, liberté de circuler, liberté d’apprendre et de savoir". Et dans ce domaine, aux yeux de l’écrivain, le Maroc n’a rien à envier à la France.
Tout récemment, sa volonté d’engagement a trouvé un autre terrain d’action littéraire. Les Editions du cygne lui ont confié une nouvelle collection, "Esprits de liberté", dont le premier texte sortira au début de l’année 2008. Soif d’Europe est le témoignage de Omar Bâ, un jeune sénégalais qui, après un périple clandestin de trois ans en Europe soldé par une expulsion, est revenu en France avec un visa en bonne et due forme pour y poursuivre ses études. Youssef Jebri évoque "sa collection", "ses auteurs" avec la même flamme que lorsqu’il s’agit de ses propres écrits. Pour lui, c’est une implication totale. Il faut "accompagner, protéger ces hommes qui sont de simples témoins", éviter que leurs textes soient récupérés et exploités à mauvais escient.

L’écriture : un exercice quotidien

DSC00YJMême s’il s’y emploie, l’écrivain reconnaît que "les livres ne changeront peut-être pas le monde, mais ça soulage de les écrire". A cet égard, l’écriture est pour lui une pratique quotidienne, un besoin, un rituel et une discipline. Il la compare d’ailleurs à la pratique du sport. Il y a des moments de la journée qui y sont plus propices que d’autres. Le matin, tôt, et le soir, tard.
Il laisse courir la plume, ne "force pas la rime", écrit sur des cahiers et des feuilles volantes. Puis, il "met au propre". A la plume, il récrit le texte. Impatient de terminer pour pouvoir lire le texte à haute voix. Car musicalité et rythme comptent plus que tout. Un des plus beaux compliments qu’on puisse faire à Youssef Jebri ? "Trouver son texte chantant. Certains y entendent des accents de rap ou de slam". Lui-même reconnaît que la prose lui permet surtout de s’affranchir des contraintes propres à la poésie ou à la chanson. Il aime faire bref pour "gagner en percussion". Son style sec, qui mêle argumentation et poèmes et que viennent émailler quelques mots d’arabe, s’accomode très bien du format court.
Youssef Jebri écrit beaucoup. Il veut "donner à lire". Et, il donne. Son site internet offre régulièrement aux lecteurs des textes inédits. Enfin, son éditeur, chez qui il a désormais carte blanche, prévoit la parution du troisième livre du jeune auteur pour le premier trimestre 2008, soit quelques mois après le précédent…
L’écriture est un sport de combat dont la pratique régulière est recommandée.

Agnès Fleury

* Extrait de Réflexions clandestines publié aux Editions du Cygne

www.youssef-jebri.com

Crédits photos : Calixe Paul-Lisae

22 juillet 2010

Toufic El-Khoury, Beyrouth Pantomime

1En février 2008, sortait le premier roman du jeune auteur libanais Toufic El-Khoury. "Beyrouth Pantomine" est le récit d’un étudiant qui traverse la ville au lendemain de l’assassinat d’un chef politique à Beyrouth et tout au long d’une journée chauffée à blanc par une manifestation monstre qui envahit les rues. Alors que la crise politique au Liban connaît un nouvel épisode dramatique, le livre aurait pu rejoindre une actualité brûlante, voire y gagner une sorte de saveur prémonitoire. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.
Rencontre avec un jeune libanais, étudiant cosmopolite, écrivain occasionnel, amateur de cinéma et de romans noirs.


Né à Beyrouth...


Né à Beyrouth en 1982, Toufic El-Khoury a connu la jeunesse voyageuse et traditionnelle d’un enfant de diplomate. Dans sa mémoire, les villes se succèdent et ne se ressemblent pas. Il évoque Bonn et Vienne, se souvient à peine du Caire, a detesté Brazilia et beaucoup aimé Bruxelles... Puis, le temps des études supérieures arrivé, il se fixe au Liban pour quelques années. Il choisit la philosophie pour la rigueur de la pensée et l’Université Saint-Joseph, établissement privé francophone, pour le cosmopolisme. Nous sommes alors en 2005 et le jeune homme ne se sent pas à sa place, plus précisément étranger. "Etranger à son milieu, à son pays, aux autres pays". Il décide alors de partir vivre ailleurs et de donner un nouveau tournant à sa formation universitaire. Il hésite ; Paris ? Bruxelles ? Ce sera la France et Paris, qui l’accueille le temps de boucler sa thèse d’études cinématographiques. Cette étape parisienne est aussi l’occasion pour Toufic El-Khoury de réaliser un de ses rêves, en publiant son premier roman chez une très jeune maison d’édition, Orizons.


Ce que son roman n'est pas


Quelques prénoms mais surtout des pronoms, des rencontres avortées mais surtout de l’ennui, des bribes de pensées et de conversations, une errance. Sec, court et fantômatique, "Beyrouth pantomime" est un étrange roman. D’ailleurs, il semble plus facile à son auteur de le décrire comme ce qu’il n’est pas.
"Ce n’est pas un roman politique". Il est catégorique. Toufic El-Khoury a même dû faire des recherches pour le versant du récit consacré au climat insurectionnel. Ca n’allait tellement pas de soi que son propre père s’est étonné que son fils en sache autant. Si le jeune homme veut bien reconnaître qu’il a "assisté de loin" à une manifestation à Beyrouth, il n’en dira pas plus. L’agitation politique décrite n’a de fonction que comme contrepoint à la vacuité du narrateur.
"Ce n’est pas moi". Il a souvent dû s’en défendre auprès de ses amis qui, eux, croient reconnaître certains ou certaines de leurs camarades. Toufic El-Khoury admet toutefois que ce roman est "proche de son expérience personnelle" et a été écrit au moment où la nostalgie de Beyrouth jouait à plein, à son arrivée sur Paris.
"Ce n’est pas un roman philosophique". Le jeune homme semble même un peu étonné qu’on y pense en lisant l’errance urbaine de son personnage, narrateur et spectateur neutre (voire apathique) d’évènements dramatiques ou triviaux… Puis, avec précaution, il finit par tenter une description de son roman. "L’idée était de prendre un personnage vide et de lui faire traverser 150 pages sans penser". Charge aux autres personnages de remplir le rôle romanesque.


Beyrouth Pantomime


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En fait de personnage principal, vraiment incarné, c’est finalement elle : Beyrouth. Cette ville que le personnage aime et déteste. Comme Toufic El-Khoury, qui s’anime alors qu’il évoque celle qu’il a souvent quittée, celle qu’il regagnera tôt ou tard, car elle reste fondamentalement "chez lui". Il décrit encore le "rapport conflictuel" qu’il entretient avec Beyrouth, qui n’est pas rare chez ses concitoyens, pense-t-il. "C’est une ville qui n’a pas d’histoire, car elle en a plusieurs. C’est fascinant. Chacun a sa propre histoire de Beyrouth. Chacun a sa propre histoire de ses figures emblématiques. Elle est à la fois la somme de toutes les villes millénaires et un gros village. Elle est aussi une ville sortie du vide". Y retourner, ce serait pour lui "participer à cette âme en création".
On ne peut jurer de rien, mais bien que le jeune auteur assure que sa première intention (et la prochaine, semble-t-il) était d’écrire un de ces romans noirs dont il est amateur, on peut difficilement s’étonner de ce que fut son premier roman.

Agnès Fleury

22 juillet 2010

Roberta Valerio, une photographe en résistance

chambreNiceOct07_02Roberta Valerio s’attrape au vol. De retour du Tyrol, elle repart bientôt pour Nice. Dans un petit café bruyant de son quartier du 18ème arrondissement, elle prend le temps de revenir sur sa vocation et sa profession de photographe, d’évoquer ses travaux et surtout ses projets.
Chaleureuse, l’accent chantant, la photographe originaire d’Udine retrace en quelques mots les récents reportages que divers journaux et magazines européens lui ont confiés. Ça commence a bien marcher pour elle. Les commandes arrivent, les contacts dans la presse se multiplient. Et pourtant, le pari n’était pas gagné lorsqu’elle est venue s’installer à Paris neuf ans plus tôt.

Une profession de rêve mais sans pitié

La photographie, Roberta y est venue doucement mais sûrement. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a aimé la photo. Tout comme son père d’ailleurs, qui lui a offert son premier Canon. Toutefois, ça n’a longtemps été qu’un loisir, un plaisir. Parallèlement à ses études droit, elle entreprend en 1994, une formation à la photographie et prend conscience qu’il y a peu de la passion à la profession. En 1998, elle quitte l’Italie pour venir en France, travailler dans le « temple », l’agence Magnum. D’abord au studio numérique puis au laboratoire de développement noir et blanc. Les planches contacts de photographes aussi renommés que Koudelka, Abbas ou Delahaye entre les mains, la jeune femme réalise que « le rêve pourrait devenir réalité ». En 2001, elle franchit le pas et part en Asie du sud-est pour un long voyage de neuf mois. Vietnam, Cambodge, Thaïlande, Laos. Les femmes et les enfants des rues l’émeuvent et accrochent son objectif.

Mais, de retour, c’est le choc. Ses photos en noir et blanc n’intéressent pas. « Déjà vus », s’entend-elle répondre lorsqu’elle tente de les montrer. Roberta ne se décourage pas et change son boîtier d’épaule. Elle passe à la couleur qui lui permet d’établir une distance avec ses sujets et les personnages de ses histoires. En 2006, elle organise un autre voyage, au Brésil cette fois, découvre les favelas, les prostituées qui lui communiquent leur farouche volonté de s’en sortir, de trouver dans leur situation les ingrédients de leur réussite. C’est le déclic. Elle réalisera un reportage sur DASPU, une ligne de vêtement créée par ces prostituées de Rio, puis un autre sur les « tops des favelas », ces jeunes filles qui tentent de devenir mannequins dans le cadre d’une association. Les reportages se vendent bien. D’autres paraîtront, sur ERASMUS, les brigades anti-pub à Paris, l’industrie du luxe à Sao Paulo…

Roberta est heureuse d’être photographe mais ne mâche pas ses mots sur la profession. « C’est un métier difficile, qui ne ten624591141_881927_5698 laisse pas de repos. Tu dois tout le temps être sur le qui-vive. Ca ne pardonne pas ». Malade pendant deux mois, elle a connu ces moments où l’on se sent complètement abandonné, livré à soi-même car on ne vous appelle pas pour travailler. Il faut alors avoir l’énergie de continuer. Neuf ans à Paris, cinq ans de travail avec la presse et elle sait que sa position n’est pas acquise. « Aujourd’hui, il y a plein de photographes, plein de bons photographes ». En plus de ses qualités photographiques, il faut aussi prouver son savoir-faire commercial. Pourtant, elle refuse de hanter cocktails et vernissages. Qu’importe. Ce n’est ni l’énergie ni la ténacité qui lui font défaut. Apprendre à ne pas se faire oublier, c’est aussi « éprouver sa propre résistance ».

Un monde d’opportunités

Les projets de bousculent ; il y a tant de voyages à accomplir, de combats à mener. Probablement réaliser un reportage sur les minorités en Birmanie, repartir un mois en Asie…
Bien sûr, « l’idéal serait de créer une continuité dans tous les reportages ». Mais, Roberta a envie d’aller partout. « Le monde est devant moi », lance-t-elle, enthousiaste. Tout l’intéresse, tout l’interroge. Elle cherche. Elle est en attente. Elle sait que parfois, il faut faire vite, comme lorsqu’elle est partie au Brésil ou au Kossovo. On lui parle de « quelque chose ». Elle prépare le voyage, partage le quotidien de ceux qu’elle rencontre sur place et les images de ses histoires apparaissent, les personnages se mettent en place. D’ailleurs, la photographe travaille dans l’instant. Chercher son cadrage, déclencher vite et beaucoup, éditer sur place. Pour le choix définitif de ses photos, Roberta fait confiance aux amis avec lesquels elle travaille, italiens pour la plupart. Son « groupe d’échanges ». Car, celle qui aime « être dans l’émotion, saisir le cours de la vie » sait qu’au retour, un grand vide l’empêchera de voir avec lucidité.

Quand on lui parle d’exposition, de publication, la jeune femme se montre plus évasive. « C’est flatteur, mais ce n’est pas un but en soi ». expo20ansErasmusToute son énergie est pour l’instant consacrée aux récits, aux lieux et aux rencontres de prochains reportages. Qu’on ne se méprenne pas toutefois ; ses images ont besoin de leur public. C’est pour ça que la presse intéresse Roberta. C’est un moyen très sûr et de large ampleur pour faire partager les histoires qu’elle a vécues et leurs personnages. Et puis, l’exposition viendra… en décembre prochain. La Représentation de la Commission européenne à Paris exposera, dans ses bureaux, le travail de la photographe sur ERASMUS pour les 20 ans du programme européen.

Première exposition à Paris donc, la ville aimée, la ville haïe. Ville de rencontres et d’opportunités, la capitale est un quartier général idéal pour l’artiste. Mais la nature et l’espace y manquent et Roberta ne s’y voit pas finir sa vie. Vivre à Paris, c’est aussi une forme de résistance !

Agnès Fleury

www.robertavalerio.com

22 juillet 2010

Le Bureau International de l’Edition Française et son programme d'accueil des éditeurs étrangers en France

bief_logoHéritier de l’OPI (Office de promotion internationale) créé en 1873, rebaptisé en 2003, le Bureau international de l’édition française est installé à Paris, dans le « quartier des éditeurs », boulevard Saint-Germain. Cette structure associative regroupe 250 éditeurs francophones qu’elle accompagne dans diverses actions collectives et dont elle assure la présence dans le monde : foires, salons, séminaires, catalogues, études… Le mot d’ordre : « promouvoir l’édition française à l’international ». Mais également former.

Les enjeux de la formation aux BIEF

Le volet « rencontres professionnelles et de formations » du BIEF s’adresse aux partenaires des éditeurs français à l’étranger. L’idée explique Pierre Myszkowski, responsable du département formation, est que des libraires, des éditeurs, des traducteurs étrangers formés et/ou sensibilisés aux enjeux de l’édition française en deviennent des relais naturels dans leurs pays respectif.
Dans cette optique et à la demande du ministre français de la culture et de la communication de l’époque, Jean-Jacques Aillagon, le BIEF lance en 2003 le programme d’accueil professionnel d’éditeurs étrangers en France.
Le programme est ambitieux. Il s’agit de recevoir chaque année pendant quatre mois plusieurs éditeurs étrangers et les intégrer au sein d’une grande maison d’édition française pour tisser des liens entre les deux maisons et – au mieux – entreprendre un projet commun qui déboucherait sur une action concrète : co-édition, achat de droits, traduction…

5 sessions, 8 pays partenaires et 10 maisons d’édition plus tard

Dans la réalité, la durée du stage a été réduite à trois mois pour des questions d’obtention de visas et deux éditeurs seulement par session annuelle ont été accueillis. Toutefois, les grandes maisons d’édition ont répondu présentes à la demande du BIEF et des éditeurs venus de Pologne, de Turquie, du Brésil, d’Algérie, d’Argentine, de Chine, du Mexique et des Pays-bas ont pu découvrir le quotidien des bureaux des Armand Colin, La martinière, Albin Michel, Gallimard, Actes Sud et consorts.
Pierre Myszkowski évoque de bons souvenirs, des relations chaleureuses établies avec chacun de ces éditeurs étrangers venus chercher des liens avec l’édition française. Il retrace quelques parcours de formation.
Venue du Brésil et de la jeune maison d’édition, Cosac Naify en 2005, Florencia Ferrari a apprécié l’organisation « plus traditionnelle » – selon ses dires – de chez Armand Colin. Elle assiste aux réunions commerciales, découvre le fonctionnement des représentants qui créent un lien entre l’éditeur et le vendeur, le libraire. Elle rencontre de « petits éditeurs » lors de rencontres professionnelles. Quelques projets se montent : une traduction en français par les éditions des Cahiers du cinéma des ouvrages du cinéaste Glauber Rocha dont Cosac Naify possèdent les droits ; un ouvrage en coédition avec les éditions de l’Oeil international sur la photographe brésilienne Claudia Andujar en France.
Malgorzeta Szczurek, responsable éditoriale chez Znak, prestigieuse maison d’édition polonaise, se montre, quant à elle, enthousiasmée par son séjour chez « Verticales » en 2003. Elle y complète sa connaissance de la littérature française contemporaine et découvre ce qu’elle appelle les « auteurs originaux », qui sortent des catalogues de best-sellers des ventes à l’étranger. Elle se dit même persuadée d’être « venue pour découvrir Lydie Salvayre ». De fait, Znac a publié « La vie commune » de l’écrivain français en 2006.

Un bilan mitigé

Finalement, cinq ans après, qu’en est-il de ce projet qui voulait faire des éditeurs étrangers des ambassadeurs de la culture française dans leurs pays ?
Malgré de beaux parcours, de réels échanges professionnels et quelques réalisations éditoriales, le département formation du BIEF a décidé de mettre ce programme « en pause », pour ne pas dire d’y mettre fin. Le programme aura sans doute péché par son ambition. Ces sessions d’accueil, de formation, de découverte de trois mois ont fini par peser lourd dans l’organisation des petites comme des grandes maisons d’édition.
Pour les années à venir, le BIEF a décidé de mettre l’accent sur les séminaires à l’étranger et la formation de libraires francophones à l’étranger. Des initiatives de plus courtes durées, pour la plupart à l’étranger et qui ne requièrent pas l’implication active des grandes maisons d’édition françaises.

Agnès Fleury

www.bief.org

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